Révolution dans les bureaux !

En un siècle, les environnements de travail ont changé du tout au tout. La flexibilité du temps de travail, la généralisation des open spaces, les nouvelles pratiques managériales, l’entreprise ouverte… sont autant de changements induits par les évolutions économiques et sociétales actuelles, et la révolution digitale que nous vivons aujourd’hui.

Ces mutations ne sont évidemment pas sans incidences sur les nouveaux espaces et usages observés dans les bureaux.

Chaque période a généré des changements d’organisation du travail qui ont impacté nos façons d’imaginer les environnements de travail.

A la fin du XIXe siècle, les bureaux commerciaux, les compagnies d’assurance et les agences gouvernementales, qui constituent l’essentiel du travail bureaucratique, sont imprégnés des idées du taylorisme et conçoivent des espaces de travail aménagés selon un ordre strict, rationnel et fonctionnel, où les employés sont disposés en ligne.

Merchandise Mart à Chicago, inauguré en 1930

Dans les années 1930, les entreprises souhaitent exprimer leur identité, rendre les employés fiers de leur entreprise et ainsi améliorer leur productivité. L’architecture des premiers immeubles de bureaux traduit alors cette forte hiérarchie.

Mais dès 1950, le model moderniste et sa ville fonctionnelle sont remis en cause lorsque les architectes et les designers commencent à s’intéresser pour la première fois à l’intérieur des bâtiments et à l’aménagement de l’espace de travail en tant que facteur de productivité.

Dans les années 1970, l’ergonomie et les sciences humaines et sociales interviennent pour bâtir des environnements de travail davantage axés sur les besoins des travailleurs. L’économie de service explose. Dans le même temps, l’ordinateur apparaît dans toutes les entreprises et change l’image que l’on se fait du travail. On voit apparaître les premiers bureaux « cubical », encore largement répandus aux Etats-Unis. Ils seront bientôt suivis par l’open space, qui permet d’augmenter l’occupation des surfaces, avec un très faible investissement, pour favoriser la collaboration et le travail en mode projet. Petit à petit, l’entreprise traditionnelle, au management pyramidal, aux collaborateurs sédentaires et à l’aménagement cloisonné, disparaît au profit d’une entreprise de travail collaboratif, aux salariés mobiles et à l’aménagement ouvert et flexible. Les jeunes générations sont à la recherche d’un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Le développement des nouvelles technologies permet aux collaborateurs de travailler d’où ils le veulent et quand ils le veulent. La structure complète des entreprises est en mutation : elle devient plus agile, plus étendue sur l’ensemble du territoire, plus ouverte aux compétences de nouveaux acteurs.

La banalisation de l’open space

Le fameux cubicle américain © Vasilyev Dmitry

Six salariés sur dix travaillent actuellement au sein d’espaces sans cloisons. L’open space n’est plus au centre d’un débat entre les partisans et détracteurs mais s’est imposé peu à peu grâce à des avantages nombreux : gain de place, meilleure communication entre les salariés et les équipes, meilleur suivi de l’activité de l’entreprise…

Les enquêtes réalisées à deux reprises par la Chaire Immobilier et Développement Durable de l’ESSEC auprès de 400 étudiants, permettent de dessiner le bureau de demain recherché par la génération Y et Z.

Ces études montrent bien que le bureau classique d’administration tombe en désuétude puisque seulement 13 % le recherchent, et que 73 % des étudiants interrogés privilégient l’espace collectif. Mais encore faut-il qu’il soit bien conçu pour ne pas faire vivre un enfer aux salariés et de sorte à ce que le collaborateur ait la possibilité de s’isoler pour téléphoner, travailler, éventuellement faire une pause au calme et dans le silence. Il s’agit finalement moins de la question de l’open space que celle de créer des espaces adaptés, basés sur les activités des collaborateurs, où ils pourraient se déplacer à leur convenance au gré de leurs besoins en matière d’espace.

Infographie « Mon bureau de demain » © ESSEC
Infographie « Mon bureau de demain » © ESSEC

 

Nomadisme et flex office

De plus en plus, le collaborateur fait preuve de mobilité interne et externe. Les environnements doivent être de plus en plus flexibles pour répondre aux différentes activités qui se succèdent tout au long de la journée : travail individuel et de concentration, réunions d’équipe, discussions informelles, moments de détente et de convivialité… Ils doivent s’adapter aux nouveaux modes de travail : nomadisme, travail ponctuel en mode projet, travail à distance, etc. Désormais, l’utilisateur s’attend à pouvoir changer la configuration des espaces dans la journée. Ainsi, les sites doivent être pensés comme des lieux évolutifs avec la possibilité d’ajouter des plateaux supplémentaires ou de supprimer des postes de travail, de bouger les cloisons à l’envi. L’entreprise « libérée » a compris que laisser de l’autonomie aux collaborateurs leur apportait une marque de confiance supplémentaire et une plus grande satisfaction au travail.

Etude Deskmag sur le coworking en 2017 © Deskmag

Les collaborateurs sont ainsi libres de travailler dans n’importe quel espace de l’entreprise, et même en dehors, en télétravail, dans des tiers-lieux non professionnels comme les cafés, les business lounges, les transports individuels et collectifs, et dans les tiers-lieux professionnels comme les bureaux de proximité, les centres d’affaires et les tiers-lieux d’innovation. Comme le montre la dernière étude Deskmag, le nombre d’espaces de coworking continue d’augmenter (13800 lieux en 2017 dans le monde, contre 11300 en 2016 et 1130 en 2011), ainsi que le nombre de membres (plus d’un million de membres en 2017 dans le monde, contre 835000 en 2016 et 43000 en 2011). Venir au bureau peut même devenir une contrainte pour certains collaborateurs : temps de trajet trop longs, problèmes de transports, nuisances sonores.

A l’échelle mondiale, Virgin Media Business prédit que 60 % des salariés de bureau travailleront régulièrement à partir de chez eux d’ici 2022. La réduction des transports répond aussi aux enjeux liés au développement durable et à la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), désormais de mieux en mieux intégrés aux stratégies des organisations (confort des usagers, santé, performance, aspects financiers, etc). La loi du 17 août 2015 rend d’ailleurs obligatoire pour les sociétés la mise en place d’un plan de déplacement entreprise (PDE) à compter du 1er janvier 2018.

Le flex office mis en place chez Ipsos © V.Fuchs

Ce nomadisme qui se généralise amène l’entreprise à proposer des postes en flex office, des postes de travail non attribués permettant une rationalisation des coûts de l’immobilier ; les mètres carrés ainsi libérés pouvant être dédiés à davantage d’espaces collaboratifs. Le principe du desk sharing existe depuis plus de vingt ans, mais il n’était cantonné qu’à quelques entreprises stars de la Silicon Valley, comme Google ou Facebook. Aujourd’hui, 9 % des salariés français travaillent en « open desk ». C’est le cas chez Ipsos, un des derniers projets livrés par Aventive : « Nous avons optimisé le taux d’utilisation des postes de travail, quitte à ce qu’ils ne soient pas des postes de travail au sens strict du terme. Nous avons voulu exploiter le maximum de la capacité du bâtiment », expliquait alors le directeur des Services généraux, Bruno Robert.

Un nouveau champ des possibles grâce à la technologie

Les nouvelles technologies rendent bien sûr le travail à distance possible, mais elles facilitent également le travail collaboratif, l’esprit d’équipe, la cohésion et le lien social grâce à des outils comme l’intranet, les réseaux sociaux d’entreprise, la visioconférence ou les objets connectés.

Doodle, un outil devenu incontournable pour simplifier l’organisation de réunions

Des applications permettent d’administrer facilement la présence et les services dans les salles de réunion. Des systèmes reliant le mobilier à des capteurs incitent les utilisateurs à bouger tout au long de la journée, mais fournissent également des données précieuses concernant le taux d’occupation des entreprises. Placés dans les sièges, ils détectent la présence de l’utilisateur : cette information permet aux entreprises d’optimiser leurs aménagements, de savoir si leurs environnements sont utilisés ou non et par combien de personnes… et de revoir ainsi les espaces nécessaires au bon fonctionnement de l’entreprise. D’autres applications permettent de partager son contenu de travail avec ses collègues en le projetant sur un écran, pour une interaction instantanée sur un projet, un suivi tout au long de son déroulement et une réactivité accrue. Chaque individu n’est donc plus enchaîné à son poste de travail et peut récupérer ses propres données sur n’importe quel espace de travail.

Le bureau comme lieu social

L’entreprise s’est dématérialisée sous l’impulsion de la révolution digitale et de la généralisation des outils de travail nomade, mais paradoxalement, le « bureau » reste l’un des principaux piliers de l’image externe et interne et de la cohésion interne. Le siège social est le point central de rencontre entre les clients, les collaborateurs, l’entreprise et son écosystème. Il doit favoriser les échanges, les réunions conviviales, les coopérations et collaborations en interne et avec l’externe. Le siège est l’endroit qui regroupe et fait se rencontrer la plupart des parties prenantes (clients, fournisseurs, collaborateurs, etc.) de l’entreprise, toutes les générations, les cultures et les compétences. En incarnant les valeurs de l’entreprise, en se faisant la vitrine de ses produits et en illustrant son dynamisme, le siège social peut communiquer efficacement sur l’entreprise et contribuer ainsi à son attractivité. Le bureau deviendrait même le support privilégié de l’accomplissement personnel, le garant du bon équilibre entre les temps de vie. Le bureau est partout et nulle part à la fois, multiforme et… flexible. Il est donc d’autant plus important de libérer des espaces individuels peu ou pas occupés pour développer des espaces collectifs.

L’environnement de travail « as a service »

L’espace sert à attirer et à fidéliser les talents dans les entreprises. Pour séduire et recruter les profils data et digitaux, tout ne se joue pas avec le salaire. Le salarié devient un « consommateur » de l’espace qu’il convient de satisfaire. « Aujourd’hui, architectes, aménageurs et professionnels de l’immobilier ne peuvent plus se contenter des méthodologies habituelles d’aménagement, les nouveaux environnements doivent être conçus pour l’utilisateur et avec lui comme c’est le cas lors du développement d’un produit manufacturé… On parle chez Aventive de « design expérientiel » dont le moteur principal est la part d’implication de plus en plus forte de l’utilisateur final », explique Isabel Trigon, dirigeante d’Aventive.

Les nouvelles générations attendent un cadre de travail en phase avec leurs aspirations : plus de souplesse, plus d’autonomie, plus de nomadisme. Le siège social devient un centre de services et de ressources, qui compense bien souvent son relatif éloignement des centres-villes et des commerces de proximité. Il ne s’agit plus là uniquement de simples services de conciergerie ou de garde d’enfants proposés aux collaborateurs, mais également de s’occuper de leurs loisirs, de leur santé. L’entreprise se pose en garante de l’équilibre mental et physique du salarié : cuisine saine et bio, panier-repas, coaching sportif, et espaces différenciés respectant sa chronobiologie : bulles de sieste, espaces de brainstorming, création de phone box, touch bar, cosy room, happen space, service lounge, salles silence, etc. L’aménagement des espaces de travail reprend des codes de l’habitat, et favorise le confort acoustique, visuel, thermique et la qualité de l’air intérieur. La biophilie est prisée, avec l’intégration de la nature dans les bureaux, la vue sur les espaces verts, la protection de la biodiversité (ruche, abri pour animaux, etc.).

L’entreprise a compris que la lutte contre le stress et la prise en compte du bien-être et de la santé des collaborateurs, notamment par l’aménagement, ne pouvaient qu’améliorer la productivité de l’entreprise.

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