L’open-space, trop vite diabolisé

Dans le cadre des débats sur les espaces ouverts, illustrés par de nombreuses publications très critiques dans la presse française, nous pensons, chez Aventive, que la question des espaces ouverts souffre d'a priori, parfois fondés, parfois injustifiés, mais qui rendent toujours difficile l'étude objective des faits.

Dans une démarche de R&D, nous souhaitons apporter des éléments à ce débat central, par exemple en cherchant au-delà de nos frontières les réflexions menées sur le phénomène de l’open space.  Nous vous proposons donc aujourd’hui une traduction d’un article paru Outre-Manche, où cette problématique agite les esprits autant qu’en France. Son auteur, Nigel Oseland, passé par quelques-uns des plus grands cabinets de conseil immobilier britanniques, est un expert reconnu des environnements de travail, change manager, spécialiste des problématiques environnementales et auteur de plusieurs ouvrages sur les lieux de travail.

Son style, typiquement anglo-saxon et  donc particulièrement direct et informel, pourra surprendre mais a le mérite de ne pas se perdre en circonvolutions. Si certains lecteurs feront à l’auteur le procès d’un parti-pris dont il se défend, cette tribune a le mérite de mettre en garde contre les lectures hâtives des études sur le sujet et de pointer la différence essentielle qui doit être faite entre l’environnement de travail ouvert en lui-même et son utilisation.

Vous pouvez retrouver l’article dans sa version originale sur le site Workplace Insight.

Une chasse aux sorcières semble en cours sur le lieu de travail. «L’espace ouvert» est devenu un terme péjoratif et la presse nationale incite les foules à vilipender ce soi-disant fléau. The Guardian, The Independent, The Telegraph, le Daily Mail et Business Week ont tous signalé que «nous n’arrivons à rien dans ces bureaux à espace ouvert» car ils affectent notre concentration, notre performance et notre santé. Leurs éléments d’information sont tous accablants, mais peut-être pas autant que la présentation de l’espace ouvert sur Wikipedia qui stipule: «une enquête méthodique menée par des chercheurs  sur les conséquences des bureaux en open-space a dévoilé des effets négatifs fréquents dans certains milieux de travail traditionnels: des niveaux élevés de bruit, de stress , des conflits, de l’hypertension artérielle et un taux de roulement élevé du personnel … la plupart des personnels préfèrent les bureaux fermés… On observe un manque d’études confirmant les effets positifs sur la productivité des bureaux en espace ouvert».

Les attaques les plus récentes sur l’open space semblent être la conséquence de trois rapports:

  • Une étude danoise par Jan Pejtersen et al. (2011) [i] qui a constaté que la moyenne signalée des absences pour maladie de 2403 travailleurs danois était plus élevée dans les environnements de travail décloisonnés (8,1 jours) que dans les bureaux individuels (4,9 jours).
  • L’enquête de Gensler sur les milieux de travail américains (2013) [ii] conduite auprès d’un échantillon aléatoire de 2035 travailleurs intellectuels a constaté que «seul un quart des travailleurs américains sont dans des environnements de  travail propices. Le reste a du mal à travailler efficacement, résultant en une perte de productivité, d’innovation et d’engagement des travailleurs».
  • La relecture de Jungsoo Kim et Richard de Dear (2013) [iii] d’une étude américaine portant sur 42 764 répondants qui conclue que «nos résultats contredisent catégoriquement le supposé bon sens de l’industrie qui ferait de l’aménagement en espace ouvert un facteur d’amélioration de la communication entre collègues … Cette étude a montré que la satisfaction des occupants sur la question de l’interaction était plus élevée pour les occupants de bureaux fermés».

Par conséquent, en supposant que nous ne parviendrons pas tous à nous voir attribuer un bureau d’angle aménagé en suite luxueuse, nous pourrions aussi bien plier bagages et retourner derechef dans nos maisons. Ou nous pourrions prendre une profonde inspiration et regarder les faits présentés un plus en détail qu’ils ne le sont dans les titres à sensation rédigés hâtivement par la presse nationale.

Dans les études détaillées, tel que le rapport danois, je me mets toujours en quête des variables confondantes : tel un limier en statistiques, je cherche ce qu’ils ont manqué. L’étude danoise est assez complète et prend bien en compte des variables telles que l’obésité et le tabagisme, mais j’ai cependant relevé que la plupart des personnes en bureaux fermés sont des «cols blancs supérieurs» différents des travailleurs installés en espace ouvert. Je suppose que cette différence de statut socio-économique se reflète dans le salaire, les bonus, le respect, la confiance, la liberté, etc. Et je ne peux donc m’empêcher de penser que le background et le rôle de ces individus dans les bureaux auront plus d’impact que leur emplacement, d’autant plus que le taux d’absentéisme dans le rapport s’appuie sur l’auto-déclaration et le rappel. La partie du rapport danois que j’ai le moins comprise était la suivante: «comme l’absence pour maladie est un événement rare, la régression de Poisson a été utilisée pour modéliser le nombre auto déclaré de jours d’absence pour maladie». Ainsi, alors que j’aurais pu critiquer le rapport pour l’utilisation de l’auto-déclaration concernant l’absentéisme – ce qui me semble hautement subjectif – il apparaît que de toute façon ce taux d’absentéisme n’est rien de plus qu’une prédiction, une estimation, et pas vraiment un fait.

Les auteurs danois ont listé des causes possibles de l’augmentation de l’absentéisme dans les espaces ouverts : le bruit, les virus, la ventilation, la vie privée et les troubles psychosociaux. En réalité, ils rejettent tour à tour les causes physiques et se concentrent sur l’environnement psychosocial du travail. Les auteurs expliquent que l’absentéisme peut être lié à la présence d’autres êtres humains et à une réduction de l’autonomie car «l’absence de frontières physiques augmente la probabilité que les collègues et les dirigeants vont interférer avec le jugement et la liberté de travailler des employés». Ce manque d’autonomie peut être un facteur de stress et donc contribuer aux absences pour maladie. Dois-je comprendre que l’autonomie est corrélée à l’allocation d’un bureau privé ? En clair, ce que ces chercheurs ont réellement démontré est que la façon dont nous nous comportons et gérons notre main-d’œuvre dans l’espace ouvert semble être plus importante que la conception de celui-ci – ce que, je l’espère, nous savons et comprenons déjà tous.

Le rapport Gensler est une mesure longitudinale comparant les réponses d’enquêtes sur la concentration, l’efficacité collaborative, etc. Malgré l’interprétation de la presse, le rapport ne compare pas directement les réponses des bureaux fermés avec ceux des bureaux en open space. C’est un rapport très complet faisant preuve d’une grande perspicacité, mais la seule référence que j’ai repérée s’agissant de l’espace ouvert concerne un rapport sur ​​la densité réalisé pour le CoreNet Global: «2010-2012, le mètre carré moyen par personne est passé de 21 à 16. Ce chiffre devrait tomber au plus bas à 9.5 m² / personne en 2017». Confondre le thème de l’accroissement de la densité sur le lieu de travail avec celui de la conception des espaces ouverts est une erreur commune et répétée – tous les environnements en open space ne sont pas à forte densité.

La relecture australienne de données américaines est impressionnante et, à nouveau, offre un aperçu précieux sur la conception des lieux de travail. La première chose que j’ai remarquée, c’est que seulement 6,7% des répondants travaillent dans un «véritable espace ouvert», alors que 60% sont dans des cubicles. L’étude a montré par exemple que la satisfaction globale était plus élevée dans les bureaux en espace ouvert que dans lesdits cubicles : «en général, les cubicles avec des cloisons hautes génèrent le plus bas indice de satisfaction des occupants dans 13 des 15 facteurs IEQ [Indoor Environmental Quality]». La facilité pour interagir est plus élevée dans l’espace ouvert que dans les cubicles et l’open space semble offrir une confidentialité et des niveaux de nuisances sonores meilleurs que dans les cubicles. En utilisant la méthode de régression, les auteurs concluent que le bruit et la vie privée sont les variables clés, mais leur analyse montre clairement que la «somme d’espace» est la plus forte variance (=explique les réponses). Ainsi, une fois de plus, la densité semble être la source d’une grande confusion lorsqu’on s’intéresse aux bureaux en espace ouvert.

Et donc l’interprétation par la presse de ces données américaines est en fait un commentaire sur les cubicles plutôt que sur l’espace ouvert. On pourrait me critiquer pour l’importance que j’accorde à la sémantique, mais les cubicles du style Dilbert sont très loin du Bürolandschaft, à l’origine de la bonne conception d’espaces ouverts reposant sur des intentions louables. Dans mes propres recherches, en majorité  des études de cas, j’ai été témoin d’une saine conception des espaces ouverts, résultant en des niveaux élevés de satisfaction, de motivation, de performance et de moral du personnel. Les études de cas des lieux de travail australiens présentées à la conférence Worplace Trends offrent encore plus de preuves d’espaces ouverts efficaces. J’ai cependant également observé des espaces ouverts mal conçus avec des conséquences désastreuses sur la satisfaction du personnel. Le contraste dans les résultats est dû à ce que l’open space n’est pas une variable absolue unique : il est multidimensionnel et doit être traité comme tel.

Sur le plan physique, l’espace ouvert varie en vertu de : la densité d’occupation, le niveau de séparation, la hauteur des écrans, la taille des bureaux, la hauteur du sol au plafond, l’aménagement de l’espace, la surface au sol, le regroupement des postes de travail, la disposition des voies de circulation primaires et secondaires, le ratio des espaces de support (breakout, salles de réunion, cafétérias, espaces de concentration, etc.), l’éclairage, le système de ventilation, la colorimétrie,  l’architecture intérieure, l’image de marque et ainsi de suite. Plus important encore, les bureaux en espaces ouverts varient en fonction de facteurs organisationnels tels que: le rôle et la fonction de l’emploi, la taille de l’équipe, le style de gestion, le secteur d’activité, l’autonomie et la responsabilité, les heures de travail, le salaire et les bonus, la carrière et ainsi de suite. Par conséquent, si un aspect de l’espace ouvert ne fonctionne pas, nous ne pouvons pas généraliser en disant que tous les bureaux en open space sont mauvais. Ce sont des éléments individuels de l’espace ouvert qui causent des problèmes, pas le concept global.

Comme mentionnée ci-dessus, la notion d’espace ouvert est souvent associée à une densité élevée. En effet, les bureaux densément peuplés où s’entassent  des rangées de pupitres, de minuscules espaces de support,  des services aux occupants débordés, un mauvais contrôle du bruit, etc. mèneront à une insatisfaction désastreuse et probablement à une baisse de la performance de l’entreprise. Mais il ne s’agit pas de l’intention du bureau paysager (Bürolandschaft) avec sa panoplie de cadres de travail et ses aménagements intéressants et, en un sens, spacieux. J’ai même entendu des consultants en environnements de travail faisant valoir que de bons espaces ouverts prennent plus de place que des bureaux cellulaires.

Il ne faut donc pas confondre espace ouvert et densité élevée, sans que cela signifie non plus qu’une forte densité est toujours néfaste. Observez les centres d’appels et les salles de marché : ces espaces de travail à forte densité facilitent les activités de base en leur sein. La densité facilite le buzz et l’énergie qui sont des prérequis pour ces lieux de travail. Pour autant, ces environnements offrent généralement de bonnes installations et espaces de soutien, ont d’excellents services aux occupants et, si la surface au sol est importante, ont généralement des plafonds plus élevés. L’erreur est manifeste quand on suppose que de tels environnements sont adaptés à tous les travailleurs et que des petits bureaux arrangés en lignes interminables et ordonnées sont propice à tout travail.

Je veux cependant faire une mise en garde concernant tout ce que j’ai écrit ci-dessus. Je ne veux pas apparaître comme un ambassadeur de l’open space. Au Royaume-Uni, nous sommes certainement en train de créer des bureaux en espace ouvert qui se concentrent trop sur l’interaction des équipes et pas assez sur la concentration et la confidentialité. Mais mon point de vue est que « espace ouvert » ne devrait pas être un terme péjoratif – c’est l’application erronée, la mauvaise utilisation, l’absence de gestion, la mauvaise conception et l’exécution à faible coût de bureaux en open space qui sont négatifs, pas le principe d’origine ni ses intentions. Ne tuons pas l’espace ouvert juste parce que nous l’avons mal interprété et adapté pour être une version diluée, avare et mauvaise, de la notion originale, en rejetant ses meilleurs aspects.

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