Un monde hyperconnecté
Le recours aux technologies de communication modernes favorise un meilleur équilibre global entre vie professionnelle et vie personnelle mais, dans le même temps, il estompe la limite entre travail et vie privée. Le salarié est joignable presque partout et tout le temps. Selon une étude du cabinet Éléas, spécialisé dans la prévention des risques psycho-sociaux, l’utilisation quotidienne des outils numériques professionnels hors du temps de travail est fortement répandue (37 % des actifs, 44 % des cadres) et les actifs expriment une forte attente quant à la régulation de leur utilisation : seul 1 actif sur 5 (22 %) considère que son entreprise intervient pour limiter l’utilisation des outils numériques hors du temps de travail. Ils sont 62 % à considérer que des règles devraient être mises en place, avec une proportion plus forte chez les cadres (75 %) et les jeunes (76 %).
Incapable de se déconnecter, le salarié se sent contraint (par lui-même ou par les autres) de répondre à des sollicitations professionnelles (mails, SMS, messageries instantanées, réseaux sociaux d’entreprise) à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Selon un très récent rapport de l’ONU, les travailleurs très mobiles, qui utilisent les nouveaux moyens de communication, seraient davantage exposés à des répercussions négatives sur leur santé et leur bien-être. Parmi eux, plusieurs types d’employés utilisant les nouvelles technologies (TIC) pour travailler hors des locaux de l’employeur, y compris les télétravailleurs réguliers, les travailleurs recourant occasionnellement au télétravail et au travail nomade numérique (T/TNN). « Il est vraiment important de s’attaquer au problème du travail supplémentaire réalisé grâce aux technologies de communication modernes, par exemple le travail additionnel à domicile qui peut être considéré comme des heures supplémentaires non rémunérées, et aussi de garantir un minimum de périodes de repos afin d’éviter les effets délétères sur la santé et le bien-être des travailleurs », explique Oscar Vargas d’Eurofound.
Une première mondiale
La loi contre l’hyperconnexion généralisée des salariés dans les entreprises françaises est en application depuis le 1er janvier 2017. Un nouvel article ajouté dans le code du travail demande aux entreprises françaises de plus de 50 salariés de négocier des règles de déconnexion en dehors des heures de travail.
L’article L. 2242-8 du code du travail est ainsi modifié :
> Le 6e chapitre est complété : « L’exercice du droit d’expression directe et collective des salariés prévu au chapitre Ier du titre VIII du présent livre, notamment au moyen des outils numériques disponibles dans l’entreprise » ;
> Un 7e chapitre est ajouté : « Les modalités du plein exercice par le salarié de son droit à la déconnexion et la mise en place par l’entreprise de dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques, en vue d’assurer le respect des temps de repos et de congé ainsi que de la vie personnelle et familiale. A défaut d’accord, l’employeur élabore une charte, après avis du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel. Cette charte définit ces modalités de l’exercice du droit à la déconnexion et prévoit en outre la mise en œuvre, à destination des salariés et du personnel d’encadrement et de direction, d’actions de formation et de sensibilisation à un usage raisonnable des outils numériques. »
Quel avenir pour cette loi ?
Est-ce qu’une loi va suffire à changer des habitudes déjà profondément ancrées dans la société française, et a fortiori dans les entreprises ? D’autant plus qu’aucune sanction n’est prévue pour celles qui ne mettraient pas en place ces règles de déconnexion en dehors des heures de travail. Il n’est pas certain qu’un manager peu scrupuleux de l’équilibre vie privée et vie professionnelle de ses collaborateurs soit particulièrement sensibilisé par la nouvelle loi. De plus, c’est parfois le salarié qui choisit de se connecter en dehors des horaires habituels de travail, motivé par le besoin de reconnaissance sociale ou l’esprit de compétition. Si on lui impose de se déconnecter alors que la somme de travail est la même et qu’il a 100 mails à traiter d’un coup le lendemain, il n’est pas impossible que cette loi procure plus de stress au travail que le fait de pouvoir ou non se connecter.
Certaines entreprises ont déjà imposé l’extinction des serveurs informatiques en dehors des heures de travail afin d’empêcher l’envoi de courriels pendant les temps de repos et les vacances. En Allemagne, le groupe Volkswagen a signé un accord en 2012 qui empêche les serveurs de l’entreprise de diriger les mails vers les téléphones professionnels entre 18h15 et 7 heures du matin, rapporte le Huffington Post. Son concurrent, BMW, a pris d’autres dispositions : une heure passée le week-end à répondre à des messages professionnels compte pour une heure de travail supplémentaire. En France, les initiatives sont plus récentes mais commencent à fleurir chez Price Minister ou Areva par exemple.
Pour un droit à la connexion ?
Paradoxalement, les nouvelles générations cherchent à être connectées partout et tout le temps. Certaines études évoquent même de nouvelles pathologies comme la nomophobie (no mobile phobie : la peur de ne pas avoir de mobile à portée de main, de batterie ou de réseau) ou la FOMO (fear of missing out, la peur de manquer quelque chose).
Refusant le présentéisme, le principe de subordination et le cloisonnement des rôles, cette génération adepte du télétravail ne déconnecte jamais. Facteur de productivité, cette souplesse et cette flexibilité lui permettent ainsi de rechercher l’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle auquel cette génération aspire plus que jamais. C’est la première génération digitale native, qui a grandi avec Internet et la technologie mobile. Or on s’attend à ce que les millennials, ou génération Y, représentent plus de 50 % de la main-d’œuvre d’ici 2020…
Selon certaines études, la connectivité Internet est même devenue le troisième critère pour le choix d’un immeuble de bureau, après la localisation et le prix. La connectivité Internet commence à faire l’objet de normes de certification (Wired Certification), pour garantir aux entreprises locataires d’immeubles de bureaux un service Internet optimal et continu. De grandes capitales comme New York et Londres ont déjà initié ce mouvement en certifiant la connectivité Internet d’immeubles de bureaux prestigieux, tels que l’Empire State Building ou le Shard.